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Gardar Eide Einarsson

Gardar Eide Einarsson
South of Heaven


Gardar Eide Einarsson est un artiste de contradictions. Ayant grandi en Norvège, il a inévitablement été exposé aux formes spécifiquement scandinaves d’utopie collective. Lors de son séjour aux États-Unis, alors qu’il poursuivait sa formation artistique, il a développé une réelle fascination pour l’individualisme remarquable de ce pays et pour ses conséquences en termes de conflits sociaux. Sa pratique hurle les slogans de la rébellion urbaine à travers une large panoplie de références visuelles et textuelles, incluant l’Internationale Situationniste, l’extrême droite américaine, le terrorisme global ou l’exclusion dans les villes. En apparence, son travail peut paraître avoir été conçu au hasard, jouer avec l’attraction pour la culture urbaine. Pourtant, cette esthétique de «dissidence en série» révèle, à y regarder de plus près, une construction soigneuse et une intertextualité érudite. En outre, si la pratique de Gardar Eide Einarsson cherche à offrir une place à un art qui s’engagerait dans le champ social, elle affirme également la possibilité d’en préserver l’autonomie interne (structurelle). Naturellement, la recherche de l’artiste sur la représentation du mécontentement, à travers des peintures murales, des installations, des drapeaux, des flyers, des vidéos et des peintures est tout sauf gratuite. Son œuvre provoque des questions explicites quant à la capacité d’un travail d’art d’être fonctionnel d’un point de vue critique aujourd’hui, et spécialement en relation avec les politiques de gestion des conflits contemporains et les marchés qui y sont liés.

La vocation théâtrale de la pratique de Gardar Eide Einarsson révèle des correspondances, en termes d’histoire de l’art, avec la crise de la modernité autour des questions sociales, telle qu’énoncée dans l’attaque du critique d’art Michael Fried contre ce qu’il a appelé le «littéralisme» de l’art minimal. Dans l’art minimal, la reconnaissance du spectateur était exploitée par des artistes comme Dan Graham, Joan Jonas et Vito Acconci (Gardar Eide Einarsson a été un des assistants d’Acconci). Ces artistes avaient réintroduit la narration, la figuration et la théâtralité dans la pratique artistique, éléments jusqu’alors réprimés par la doctrine moderniste. De plus, une attitude nouvelle était demandée au public: il devait être disposé à participer directement à la réalisation de l’œuvre et se laisser questionner par le processus de sa réception. C’est dans les installations Props (2005) et Tokyo Underworld (2006) que la notion de théâtralité en direct est développée. Dans ces travaux en particulier, le spectateur est interpellé et invité à naviguer, ou même à prendre part à ce monde aussi familier que transgressif. Les installations de Gardar Eide Einarsson sont performatives en cela qu’elles s’adressent à leur public.

Un des travaux les plus récents de Gardar Eide Einarsson, Ship of Fools (2006) utilise et pousse encore plus loin les notions de théâtralité et de jeu. L’artiste y cristallise son intérêt de longue date pour la figure de Ted Kaczynski, l’atroce « Unabomber », un terroriste qui envoyait des bombes et qui écrivit une pièce de théâtre durant son emprisonnement. La vidéo rejoue la pièce comme un élément théâtral en direct mais documenté comme une vidéo d’art.

Dans la peinture murale Total Revolution, l’appel à l’action du slogan offre une consonance politique, si ce n’est générique, allant d’un salut de mai 68 aux à un cri de ralliement contre le sommet du G8. Pourtant, ce genre d’exhortations a totalement été intégré par la publicité et les industries de loisirs qui déterminent le style de vie urbain du consommateur hédoniste contemporain. En faisant référence au monde du graffiti, l’aspect visuel précipité de Total Revolution est défini par l’usage d’un stylo numérique d’ordinateur. L’objet est conçu pour la consommation de masse et a déjà été reproduit de nombreuses fois. L’ironie tient dans la référence à Lee Lozano, artiste conceptuelle américaine, qui, dans son travail iconoclaste General Strike Piece (1969) lance un appel aux armes passionné.

L’œuvre de Gardar Eide Einarsson est très fréquemment en noir et blanc, et exploite par conséquent la possibilité de considérer le monochrome comme un arrière-plan pour des slogans de banderoles et des panneaux publicitaires. Nombre de ses travaux peuvent être lus, purement formellement, comme des mots peints, contradictoires par nature (à cause de leur sens linguistique), mais reproduisant néanmoins l’idéal moderniste de l’indépendance formelle de la peinture elle-même.

La pratique de Gardar Eide Einarsson reflète l’incapacité de l’art en général, et de la peinture comme médium en particulier, de ne produire que des gestes à la faveur de la représentation d’un point de vue historique. A ce titre, il surmonte aisément le tabou de la dimension sociale qui hante l’art depuis les années 70. Son travail cadre la présence du spectateur dans la galerie et pointe l’expérience de la vie quotidienne comme une expérience théâtrale. Par là même, l’artiste transpose la vision baroque de « la vie comme un théâtre » au 21e siècle.

Une proposition de Katya García-Antón

L’exposition ainsi que le catalogue sont co-produits avec le Frankfurter Kunstverein.

Image de couverture: © Centre d’Art Contemporain Genève / Danaé Panchaud
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